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Les itinéraires de Charlemagne dans les Pyrénées
Les confusions du texte d’Eginhard et autres chroniqueurs de Louis le Pieux
778 La Route de Charlemagne
Saragosse
La Route de Charlemagne, de Saragosse vers les landes aquitaines
Vestiges et témoins, de Huesca à la plaine du rio Aragon
Vestiges et témoins, de la plaine de Jaca au col de Pau
Présentation de la Route Charlemagne dans les Pyrénées
La bataille de 778
« 778 Roncevaux »
Sur les pas de Charlemagne en Basse-Navarre
Mais qui donc est Roland ?
Roland a-t-il réellement existé ?
Roland et le péché de Charlemagne
A qui profitent ces inventions?
Les itinéraires de Charlemagne dans les Pyrénées
Les confusions du texte d’Eginhard et autres chroniqueurs
de Louis le Pieux
La plupart des historiens se penchant sur l’histoire très dense de Charlemagne ont pris comme document de base la Vita Karolis rédigée sous la direction d’Eginhard, un religieux ayant vécu à la cour de Louis le Pieux, et non pas de Charlemagne. Or cette Vita Karolis, achevée aux alentours de 835 est postérieure de plus de 20 ans à la disparition de l’empereur. Entre temps, au demeurant, l’empire a éclaté et Louis le Pieux lui-même a été destitué.
D’autres chroniqueurs de Louis rédigent leurs propres récits: l’Anonyme ou Astronome Limousin, les Annales de Fulda, les Annales de Tilien… Le gros problème est que ces diverses annales se contredisent, notamment lorsqu’elles abordent la bataille dite de Roncevaux en 778. Selon les uns, Pampelune est détruite lors du trajet aller vers Saragosse, tantôt c’est lors du trajet retour, tantôt elle reste intacte. A partir de là, qui croire ?
Sans même remonter aux sources contemporaines de Charlemagne, deux invraisemblances sautent aux yeux. La première se trouve dans la destruction de Pampelune sur le trajet aller. Entre Pampelune et Saragosse, il y a la puissante cité de Tudela où l’armée carolingienne doit franchir l’Ebre. Qui peut raisonnablement penser que le gouverneur sarrasin de cette ville ait laissé paisiblement manœuvrer les Francs alors qu’un de ses alliés venait de se faire tailler en pièces ? Les réactions sarrasines pouvaient être violentes quand l’un des leurs était attaqué: Alphonse le Batailleur en fit du reste les frais quelques siècles plus tard lors de la bataille de Fraga.
Deuxième invraisemblance: la destruction même de Pampelune puisque Louis allait s’y installer en 806 après avoir férocement maté la révolte des Vascons du versant nord, Vascons qui avaient refusé de se rendre à son plaid. Comment aurait-il pu faire son lieu de résidence d’une ville détruite moins de 30 ans auparavant et donc peu reconstruite ?
Par contre on sait qu’une terrible bataille eut lieu dans ces ports de Cize en 824, bataille qui vit l’armée de Louis en grande partie décimée et l’avènement du premier roi de Pampelune, Iñigo Arista pour les Espagnols, Eneko pour les Basques.
Dès lors, on peut se poser la question: Eginhard n’a-t-il pas attribué à Charlemagne la déroute dont celui qui lui était proche était réellement le responsable ? Les Basques, en associant consciemment ou inconsciemment les deux dates lors de la célébration de la bataille, ont peut-être senti la confusion avant même que d’éminents professeurs d’université tels que Philippe Walter et Bernard Gicquel ne débusquent la confusion…
778 La Route de Charlemagne
Se confronter avec l’histoire de Charlemagne dans les Pyrénées équivaut à se plonger dans un océan de légendes devenues plus vraies que la réalité. Le principal exemple en est cette bataille de 778, dite de Roncevaux. Or, sur le plan historique, il n’en est fait nulle mention dans les annales carolingiennes contemporaines. Est-ce à dire pour autant qu’elles sont muettes? C’est loin d’être le cas.
En effet, elles nous apprennent qu’en 778, Charles se rendit dans l’une de ses résidences, à Chasseneuil du Poitou, en compagnie de sa femme enceinte de jumeaux. Sa préoccupation était alors de faire naître son futur héritier sur cette terre d’Aquitaine afin de lui conférer une légitimité sur ce territoire en quelque sorte par un droit du sol.
Toujours dans la perspective de cette naissance, il entreprit de pacifier et d’organiser toute cette région, y nommant comtes, évêques et abbés. Sans doute est-ce dans cette même perspective qu’il décida de rencontrer l’émir de Saragosse.
Les Annales de Saint Amand et de Laubach, qui vont jusqu’en 791, sont très concises à ce sujet:
« En 778, le roi Charles fut en Espagne à Saragosse. »
La raison en est explicitée dans les chroniques d’al Makkari:
« Le roi des Francs, Charles, un puissant despote de cette nation, entra en correspondance avec Abd al Rahman Ier, après avoir eu avec lui des rapports hostiles un certain temps. S’étant rendu compte que l’émir était doué d’une énergie et de qualités viriles remarquables, il chercha à le ménager et lui offrit une alliance par mariage et une trêve. Abd al Rahman lui répondit favorablement au sujet de cette trêve; quant à la proposition d’alliance matrimoniale, elle n’eut pas de suite. »
Cette trêve correspond à une réalité historique puisqu’il n’y eut aucune campagne franque vers l’Espagne jusqu’en 801, date à laquelle Louis le Pieux entreprit la conquête de Barcelone et de Gérone.
Quant au projet de mariage entre famille carolingienne et maison omeyyade, il n’avait rien d’invraisemblable contrairement à une action militaire contre un puissant voisin en pleine période de pacification.
A son retour, Charles apprit que l’un des jumeaux était mort. Le survivant, baptisé Louis, reçut immédiatement de son père ce royaume d’Aquitaine qu’il lui avait destiné.
Nulle trace à travers les chroniques franques ou sarrasines contemporaines d’un quelconque affrontement.
Ainsi donc le seul élément historique tangible que l’on possède d’un déplacement de Charles dans les Pyrénées est son voyage à Saragosse.
Saragosse
La Saragosse actuelle conserve, il faut l’avouer, bien peu d’éléments de ce que Charles put y voir lors de sa visite à l’émir Abd al Rahman. Des murailles romaines qui défendaient la ville et que les Sarrasins utilisèrent à leur propre usage, il ne reste aujourd’hui que quelques morceaux épars. Par contre, la cité reste très marquée par l’influence de ces occupants, tant à travers certains clochers de ses églises, véritables minarets, que par surtout son magnifique palais de l’Aljaferia.
Le palais actuel remonte à la moitié du XIe siècle. Seule est antérieure la tour carrée, dite Tour du Trouvère. Elle servit de décor à l’intrigue de l’opéra de Verdi, le Trouvère, mais existait-elle déjà au temps de Charlemagne? Rien ne permet de l’affirmer.
Quoi qu’il en soit, si l’architecture de ce palais surprend par son ampleur et sa sévérité de forteresse, on reste pétrifié d’admiration devant la luxuriance de ses découpes et de ses stucs sitôt que l’on en franchit le seuil. Point n’est besoin de fermer les yeux lorsqu’on flâne dans son patio décoré d’orangers en fleurs ou lourdement chargés de fruits pour évoquer les ombres qu’on y devine encore errer.
Lorsque les Chrétiens parvinrent à reprendre Saragosse dans la première moitié du XIIe siècle, l’Aljaferia devint tout naturellement la résidence des rois d’Aragon qui, à partir de là, ne cessèrent de la transformer sans lui ôter la splendeur que lui avait offerte la dynastie des Banu Hud.
Parmi ces transformations, les plus visibles sont celles laissées par les Rois Catholiques, Ferdinand d’Aragon et Isabelle la Catholique dont les emblèmes sont omniprésents au premier étage.
Les plafonds et les décorations de la salle du trône, dans leur style mudejar, assurent une parfaite transition entre les différentes époques qui virent la présence des seigneurs de l’Espagne.
Moins évidente est la trace musulmane dans la cathédrale de Saragosse, la Seo. Extérieurement, elle se présente comme un mélange composite de styles allant du mudejar au classique en passant par le roman et le gothique. En revanche, si l’intérieur relève du gothique flamboyant, il a conservé le plan de l’ancienne mosquée.
Contrairement au plan habituel d’une église, constitué d’une nef avec, ou non, adjonction de collatéraux, on se trouve ici en présence d’un quadrilatère enserrant en son centre un autre quadrilatère, en l’occurrence le chœur. Les chapelles sont adossées aux murs du quadrilatère extérieur tandis qu’une allée contourne le central et permet ainsi de passer d’une chapelle à l’autre. Ainsi, c’est au centre de ce curieux édifice que, délimité par un jubé de stuc, se trouvent autel, orgues et stalles. Les retables qui décorent chacune des chapelles constituent chacun des œuvres d’art majeures.
Enfin, même si l’actuelle basilique du Pilar ne remonte qu’à la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe, il faut considérer qu’elle fut élevée à l’emplacement d’une ancienne église remontant à l’époque wisigothique. C’est d’ailleurs en ce lieu que fut enseveli le corps de Gaston IV le Croisé, vicomte de Béarn et héros de la Reconquista aux côtés d’Alphonse le Batailleur. Outre la fameuse statuette de la Vierge du Pilar, vénérée dans toute l’Espagne, on peut y admirer, entre autres merveilles, le grand retable d’albâtre dû au célèbre sculpteur de la Renaissance, Damian Forment, et, au plafond des coupoles des peintures de Francisco Bayeu, Velasquez et Goya.
Une balade au gré des ruelles et des places de Saragosse permettra de s’imprégner de cette ambiance si particulière due à un passé multiséculaire qui n’a cessé de l’enrichir de ses plus beaux exemples artistiques. Et terminer la journée par une pause festive et gustative dans ses bars à tapas contribuera une fois pour toutes à abolir le temps pour replonger en imagination dans ce qui fit le raffinement et la douceur de vivre du royaume d’Al Andalus.
La route de Charlemagne, de Saragosse vers les landes aquitaines
Il est peut-être plus facile de concevoir l’itinéraire suivi par Charlemagne lorsqu’il rendit visite à l’émir de Saragosse dans le sens du retour, même s’il l’emprunta sûrement dans les deux sens.
Depuis Saragosse, quiconque se dirige vers le Nord empruntera le chemin le plus court qui le conduira jusqu’à Huesca. Lors de l’occupation musulmane, c’est une ville puissante, défendue elle aussi par des murailles contemporaines de la conquête romaine et renforcées par les Sarrasins. De plus, elle est protégée par tout un ensemble de fortifications périphériques. Charles n’a aucune raison d’éviter le lieu: il n’est pas venu avec des intentions belliqueuses mais par souci de paix. Il contournera donc la cité pour se diriger vers les Pyrénées. Cependant, pour les atteindre, il y a un obstacle majeur à franchir: les sierras intérieures.
De nos jours, les routes modernes ont éventré les contreforts de la Sierra de Guara pour foncer directement en direction de Jaca par le col de Monrepos. Tel n’était pas le cas en 778. Mieux valait alors contourner en partie ce redoutable obstacle, suivre la vallée creusée par le rio Gallego, franchir les moutonnements qui séparent la vallée de l’Ebre de celle du rio Aragon au col de Santa Barbara, puis, après avoir remonté la vallée du rio Aragon Subordan, gravir par l’antique voie romaine le col de Pau qui ramenait sur la vallée d’Aspe et aboutissait à l’antique Illuro (Oloron) pas encore anéantie par la déferlante des Vikings. De là, la voie romaine traversait de grandes étendues de landes où les bergers pyrénéens emmenaient paître l’hiver leurs troupeaux descendus des estives.
Vestiges et témoins, de Huesca à la plaine du rio Aragon
Le contournement de la Sierra conduit à un château qui fut l’une des places fortes âprement disputée lors de la Reconquista. De sa prise dépendait la réussite, ou non, du siège et de la prise de Huesca.
Le château actuel est dû en grande partie à Sancho Ramirez, deuxième roi d’Aragon, et à deux de ses fils qui régnèrent à sa suite, Pierre Ier et Alphonse le Batailleur. La partie la plus ancienne se situe au niveau de la Tour de l’Homenaje et des remparts qui la bordent, vestiges probables de l’ancien khsar. Doublée par la suite par la Tour de la Reine, la Tour de l’Homenaje reste la tour-donjon. Toutefois, les agrandissements s’intègrent si bien à la structure originale que seul l’appareillage des pierres permet de voir la différence. Émanation de la roche qui lui sert de support, ce château offre un véritable labyrinthe de salles et de couloirs dans lequel il ne faut pas hésiter à « se perdre », fureter, revenir sur ses pas, en oubliant de suivre à la lettre plaquette ou audio-guide. Cette forteresse-monastère royale fut l’un des hauts-lieux de la Reconquista.
Des logements royaux à ceux des chevaliers ou des moines, de la crypte qui abrita les reliques de San Demetrios, protecteur de la chevalerie, à l’imposante église à coupole romane, couloirs et salles nous convient à une immersion dans l’histoire et la magie médiévale en réservant quelques-uns de ses mystères aux regards attentifs.
Un peu plus loin, la formidable masse des Mallos, poudingues de roches rouges que le soleil couchant enflamme, évoque une gigantesque forteresse, naturelle cette fois. Paradis aujourd’hui des amateurs d’escalade ou de varappe, ils abritent une importante colonie de vautours qui sillonnent le ciel de leurs longs vols planés. Les Francs durent être saisis par cette formidable muraille, forteresse à l’échelle de Titans.
Le franchissement du col de Santa Barbara donne accès à la plaine du rio Aragon que clôt, au Nord, la chaîne pyrénéenne.
Vestiges et témoins, de la plaine de Jaca au col de Pau
La route suivie par Charlemagne en descendant du col de Santa Barbara ne fait que traverser la plaine de Jaca. Elle emprunte immédiatement la vallée du rio Aragon Subordan qu’elle remonte jusqu’à sa source avant de gravir l’antique voie romaine menant au col de Pau. Ce même itinéraire fut le premier, à l’Ouest des Pyrénées, suivi par les pèlerins en route vers Compostelle.
Un édifice de première importance, contemporain de Charlemagne, y dresse toujours son imposante silhouette. Il s’agit d’un monastère qui a conservé de cette époque, sans aucune modification, toute sa partie ouest. Pour le reste, les principales transformations se situent au niveau des voûtes, refaites sous le règne de Sancho Ramirez. Au demeurant, son deuxième fils, Alphonse le Batailleur, né à une poignée de kilomètres de là, y fut élevé.
La trace historique de ce monastère nous vient d’un moine, Euloge de Cordoue, qui, au cours de son périple en Espagne, y écrit une lettre adressée à son évêque et datée de 835, où il mentionne qu’il y fut accueilli par une communauté d’une centaine d’hommes (ce qui est énorme pour cette époque) et qu’il a pu y consulter un ensemble d’œuvres extraordinaire.
Actuellement, l’église de cet ancien monastère abrite une collection de retables médiévaux de toute beauté.
A partir de là, le cheminement va devenir beaucoup plus sauvage, la vallée se resserrant en une gorge au nom fort évocateur : la Boca del Infierno. La voie romaine passait en réalité au-dessus du tracé de la route actuelle, évitant ainsi l’étroitesse du défilé qui coince le passant entre une paroi parfois en surplomb et le bouillonnement du rio se heurtant aux rochers qui encombrent son lit. Puis tout s’apaise et l’ancienne voie comme la route débouche sur un vallon très bucolique. Pourtant ce lieu abrite l’une des plus importantes nécropole du mégalithique et donne encore lieu à une vive controverse entre Navarrais et Aragonais quant à l’endroit exact où se serait déroulé la bataille dite de Roncevaux. En effet, parmi les dizaines de cromlechs que comporte ce site, plusieurs d’entre eux furent fouillés par les archéologues qui y découvrirent, à leur grand étonnement, deux étages d’ensevelissement. A l’étage inférieur, sans surprise, ils trouvèrent des restes émanant de la période d’édification. Mais, au-dessus, ils durent constater que ces mêmes cromlechs avaient servi une seconde fois et les objets retrouvés correspondaient à des armes de la période carolingienne !
Les Basques à leur tour, ne voulant pas être en reste, se lancèrent dans quelques fouilles sur certains tronçons des ports de Cize… et trouvèrent eux aussi des objets contemporains de cette période. Dès lors, qui croire ?
En fait, il est vraisemblable que les deux aient raison. Si l’on s’en réfère à Eginhard, la bataille de 824 a bien eu lieu en haut des ports de Cize. Par contre, on sait qu’en 797, Louis le Pieux tenta de mettre le siège devant Huesca, opération qui se solda par un échec. La route de remontée depuis Huesca passant, comme on vient de le voir, par le col de Pau, il n’est pas impossible qu’un petit groupe de son armée ait été attaqué en ce lieu, ce qui correspond du reste à l’un des récits de l’Astronome Limousin.
Présentation de la Route Charlemagne dans les Pyrénées
Il existe depuis quelques années déjà un projet pour l’ouverture d’un nouvel itinéraire culturel européen nommé Via Charlemagne. Ce projet est actuellement porté par le Mouvement européen de la Marne. Cependant, aujourd’hui, de par sa situation géographique et ses statuts, les perspectives qui y sont développées concernent essentiellement la région du Nord-Est de la France et ses pays limitrophes.
Pourtant, que l’on prononce le nom de Charlemagne, et Roncevaux arrive en réponse. La terrible défaite subie par celui qui n’était pas encore empereur fut amplifiée malgré les torsions à la vérité historique, par la célèbre Chanson de Roland.
A partir de cela, plusieurs membres du C.H.AR se sont lancés dans un travail de recherche spécifique aux Pyrénées qui a consisté à se glisser dans les pas de l’empereur et à vous faire partager leurs découvertes. Ce travail est destiné à étayer un projet transfrontalier qui fera l’objet de communications ultérieures en fonction de son avancée.
Toute personne désireuse de s’associer à cette démarche est invitée à entrer en contact avec nous.
e.mail: c.h.ar@orange.fr
La bataille de 778
Depuis toujours située entre mystère et légende, cette bataille a été victime de toutes les idées fausses.
En résumé, une délégation musulmane s’était présentée devant Charles Ier, qui n’était pas encore Charlemagne, à Paderborn en Westphalie. Ces deux gouverneurs lui proposèrent d’intervenir auprès de l’émir de Zaragoza afin de créer une alliance franco-musulmane contre l’émir de Cordoue. Charles, occupé à réduire les Saxons, mit deux ans à accepter cette offre. En 778, les deux moitiés de son armée passèrent les Pyrénées, l’une par la Catalogne, l’autre par le col dit de Roncevaux.
Malheureusement, lorsqu’il arriva à Zaragoza sans avoir combattu, un revirement s’était produit et les portes de la cité demeurèrent fermées devant lui.
L’été, cette année-là, était torride. Son armée manquait de vivres et de fourrage. Son seul choix était de se replier. Cette fois, l’ensemble des forces repartit d’un seul bloc vers la France. Le plus court chemin était celui de Pampelune. Bien que dirigée par un émir, la ville était plutôt chrétienne. Non seulement Charles donna l’ordre de piller la cité mais il en fit raser les murs, ce qui revenait à l’exposer à toutes les attaques.
Sans doute aidés par des Gascons et des Banu Qasi, les Vascons décidèrent alors de récupérer leurs biens. Ceux-ci connaissaient au mieux le terrain. Si l’armée franque était la plus puissante d’Europe, les Vascons savaient que le peu de largeur de la voie romaine l’étirerait sur plusieurs dizaines de kilomètres. Là était sa faiblesse.
Le 15 août 778, à la tombée du jour, alors qu’ils avaient laissé passer l’essentiel de l’armée franque pendant plusieurs jours, ils fondirent sur l’arrière-garde de l’arrière-garde, l’anéantirent jusqu’au dernier de ses hommes, récupérèrent ce qui leur avait été volé et se fondirent dans la nuit.
Eginhard, chroniqueur du futur Carolus Magnus, décida de préserver l’image de son roi et rédigea un compte-rendu sibyllin destiné à minimiser le désastre. Cependant, si l’on considère que Charlemagne en fut toute sa vie affligé, la défaite fut beaucoup plus cruelle que ne l’écrivait l’historien.
Deux siècles plus tard, l’auteur anonyme de la Chanson de Roland s’empara de ce récit pour le hisser au firmament de la légende. L’époque était alors aux Croisades: il remplaça les Vascons par une monstrueuse vague de Sarrasins.
L’époque était aussi au merveilleux. L’obscur Roland fut érigé en héros mythique. On lui donna un olifant de légende et une épée surnaturelle. Sur la lancée, il devint le neveu de l’empereur et se permettait de tutoyer l’Archange Gabriel. Pour expliquer la défaite d’un héros si parfait, il inventa Ganelon et son abjecte trahison. Pour conclure, il permit à Charlemagne de se venger des musulmans en les noyant dans l’Ebre, avec l’aide du soleil qui daigna ce jour-là ne point se coucher afin qu’il pût terminer cela au mieux!
Le succès de la chanson de geste fut fabuleux et la République se dut de l’inscrire dans ses programmes d’histoire. C’est ainsi que nos contemporains sont encore persuadés que ce furent les perfides Sarrasins qui battirent Roland à Roncevaux. Seuls les Basques et les historiens savent que ce n’est pas le reflet de l’histoire mais de la littérature.
(voir La Défaite de Roncevaux, Jean-François Demange)
« 778 Roncevaux »
Le nom de Roncevaux naquit avec le monastère, soit plusieurs siècles après la bataille de 778.
Les Basques utilisent donc son vrai nom: Orreaga.
Chaque année, les Navarrais sur le site la commémoration des deux victoires (778 et 824) remportées par leurs ancêtres sur l’armée franque. La deuxième, qui s’est déroulée au même endroit mais contre Louis le Pieux, a été oubliée du plus grand nombre mais les Navarrais se souviennent qu’elle marqua l’indépendance du royaume de Pampelune, devenu plus tard royaume de Navarre, et l’avènement du premier « Roi » des Vascons, Eneko Arizta, Iñigo Arista en espagnol.
La Chanson de Roland ayant remplacé les guerriers basques par des hordes de Sarrasins, les Basques d’aujourd’hui estiment avoir été frustrés de leur victoire et en revendiquent la paternité.
Certains considèrent donc le 15 août en qualité de symbole à leur attachement à la liberté et voudraient faire de cette date leur Fête nationale.
A partir de 2016, cette émouvante et populaire célébration aura lieu le samedi suivant le 15 août afin d’éviter la « concurrence » avec la Fête de la Vierge.
Sur les pas de Charlemagne en Basse Navarre
Avant et après Sorde l’Abbaye, l’armée franque a très vraisemblablement passé les Gaves sur des ponts de bateaux, méthode déjà utilisée du temps des Romains.
A l’aller, l’armée conduite par Charles Ier a suivi la voie romaine jusqu’à Garris, puis de là Saint-Palais ou plutôt le quartier Xibraltar, situé sur la colline de Saint-Sauveur. Clément Urrutibehety y a relevé les d’une section dallée. A peine plus loin, il signale deux ponts romains sur la commune de Beyrie ainsi qu’une voie pavée sur la colline de Soyharce, en direction de la chapelle d’Harambeltz.
Cette route mena l’armée à Ostabat, ancienne Hostavallem, en basque Asme. Suivent Larceveau, en basque Larzabale (plaine de lande), puis Ainhice-Mongelos. Juste avant Lacarre, à droite de la nationale, la voie suit un petit ruisseau, jadis jalonné de trois moulins, jusqu’à Bustince ou Buztinze où elle franchit le ruisseau par un pont et rejoint la route qui traverse le bourg.
Saint-Jean-le-Vieux est l’ancienne Imus Pyrenaeus, dont l’acuel nom basque est Donazaharre, contraction de Donibane Zaharra, le Vieux Saint Jean. Après Donazaharre, dont les thermes avaient été déjà rasés lors de différentes invasions barbares, la voie se dirige vers le Sud en se dédoublant.
La première tourne à main droite, traverse ou longe le château d’Harietta pour rejoindre le territoire d’Aincille et prendre la direction de Saint-Michel.
La deuxième, qui a notre préférence dans le sens où la motte castrale de cette ancienne ville romaine la surveillait et qui demandait moins d’efforts aux attelages, franchit un pont doublé d’un gué, lequel semble être dallé, vire à gauche, passe devant un ancien hospital de pèlerins et rejoint le bourg d’Aincille, de l’ancien Aintzibil, « colline des marécages ».
Le village suivant est Saint-Michel, ancienne Villa sanctis Michaelis, rebaptisée Saint-Michel-Pied-de-Port-de-Cize. C’était le plus important village avant la fondation de Saint-Jean-Pied-de-Port. La légende du miracle des Ports de Cize la désigne comme étant le passage naturel des premiers pèlerins juste avant la montée au col de Cize. Basile Ibañez a non seulement mis en évidence le tracé de la voie romaine allant de Saint-Jean-le-Vieux à Saint-Michel, mais il a aussi identifié les traces d’un ancien et vaste camp romain ou d’un village d’auxiliaires basques.
Au sortir de Saint-Michel, deux passages se proposent à nouveau. Le premier part à main droite, traverse la Nive, grimpe tout de suite la colline, passe devant une chapelle de pèlerins aujourd’hui disparue, puis va rejoindre l’actuel Chemin de Compostelle pour passer sous l’emplacement d’un camp romain où furent mis à jour des rouleaux de pièces du péage qui se trouvait là. Ceci accrédite la thèse voyant là une route commerciale. La suite est l’actuel chemin, à la fois d’estive et jacquaire, qui mène à la Vierge de Biakorri.
Pour trouver le deuxième chemin, il faut à peine remonter le lit de la Nive par la gauche, le franchir par un gué encore emprunté par les vaches de nos jours. Au débouché, il tourne à gauche et monte directement sur Bioakorri. Selon Basile Ibañez et différents linguistes, le nom de Biakorri serait une déformation de Via Korri. Cette toponymie renforce le souvenir d’une voie romaine.
Au-delà de la statue de la Vierge de Biakorri, la voie romaine s’amuse à servir de base à la route actuelle puis à la quitter, pour la recouper un peu plus loin et se perdre à nouveau sous son bitume. Après être passée sous Château-Pignon, redoute démolie sous la Convention, elle reste sous la route jusqu’à la Croix d’Urdanarre, dite Croix Thibaud, qui marque aujourd’hui l’endroit où les pèlerins quittent l’asphalte pour le sentier du GR 65. Deux portées de flèches plus haut se trouve l’actuelle frontière avec l’Espagne, non matérialisée sur le terrain
C’est le Leizar Ateka. L’antique voie « de Charlemagne » y reste encore lisible, à droite et très légèrement en contrebas du Chemin de Saint-Jacques, en direction d’un éboulis. La brisure des rochers qui la recouvrent n’est pas naturelle ; elle a visiblement été causée par des explosions. De nombreux duels d’artillerie se déroulèrent ici aux XVIIIe et XIXe siècles.
L’arête de roche grise et dure qui descend du Leizar (1409 m) et coupe perpendiculairement le Leizar Ateka est l’actuelle « frontière ». Ateka, en basque, signifie du reste « passage ». Il semble crédible de penser que l’ateka originel se profilant en V sur le ciel a pu être la source d’inspiration poétique du fameux rocher fendu en deux par Durandal, l’épée de Roland. Il ne s’agit pas de prétendre qu’il a réellement fendu ce passage ni même qu’il y est mort, mais seulement que le lieu a pu inspirer cette légende additive.
Sitôt la « frontière » passée, la voie romaine évolue sur un faux plat. A gauche, une pente herbeuse et jonchée de rochers la surplombe; à sa droite, c’est un impressionnant ravin dont les hêtres torturés empêchent de voir le fond. Le promeneur découvre là le site idéal d’une embuscade. Ici, une poignée d’hommes décidés suffit à isoler une arrière-garde du reste de son armée. Un seul chariot renversé suffisait à enclouer, entre montagne et gouffre, un convoi étiré sur plusieurs kilomètres.
En admettant que les bruits de quelque bataille soient parvenus jusqu’au gros de l’armée, la pente à remonter est à ce point éreintante qu’hommes et chevaux qui auraient rebroussé chemin y seraient arrivés tellement épuisés qu’ils n’auraient pas été en état de combattre un ennemi bien campé en amont.
Six ou sept cents mètres plus loin, une source intermittente a causé un spectaculaire éboulement. Pour permettre le passage à d’éventuels secours venant assister un randonneur en difficulté, des travaux répétés rehaussèrent plusieurs fois cette portion. En se penchant au bord du vide, on discerne très clairement, quatre ou cinq mètres en contrebas, les deux vestiges de ce que fut la voie empruntée aussi bien par les Romains que par les Francs, séparés par un vide impressionnant sur fond de moraine.
A quelques minutes de là est la Fontaine dite de Roland, création toute récente dont l’eau provient du captage de trois sources distinctes. Plus loin se trouvent le mont Loibeltx, le col de Bentarte Mendearte, la montagne de Xangoa, à son pied les ruines d’Eliza-zaharra, le col d’Izandorre, situé entre Mendi Chipi et l’Astobizcar, enfin le col de Lepoeder, Ategoren, qui, comme l’indique son nom latin Summus Portus, est le point culminant de la voie.
A notre sens, l’embuscade du retour s’est déroulée sur l’ensemble du linéaire compris entre le Leizar Ateka et la montée vers le Lepoeder.
Si le col d’Ibañeta, ou col de Roncevaux, est marqué par une « chapelle de Roland » et si un frustre monument est dédié au Preux à l’emplacement d’une cloche suspendue à une arche aujourd’hui effondrée, la raison de ces installations est simplement leur visibilité à partir de la route de Valcarlos. C’est sur le petit plateau situé juste en amont que les Navarrais célèbrent chaque 15 août leur « Orreaga 778 ».
La voie romaine pour sa part n’allait pas jusque là. Elle descendait en direction de l’actuel monastère de Roncevaux, lequel n’existait pas non plus au temps de Charlemagne. La moitié d’armée commandée par Charles Ier passa à l’Est du village actuel de Burguete ou Auritz, jadis Roncevaux, auquel le monastère emprunta son nom. Le nom de l’actuelle piste qui traverse ce large vallon est bidezarra, « la vieille route ».
A l’extrêmité Sud de cette vallée d’Erro et sur le flanc d’une petite colline se trouvait la cité romaine de Iturriza. Cette ville a été mise à jour dans les années 80. Les fouilles qui y furent pratiquées mirent en évidence une importante cité dont la population était composée de Basques servant comme auxiliaires dans la Légion et vivant là en famille. Ce vallon, plane, bien pourvu en eau et assez vaste pour organiser une défense, était une étape avant ou après le franchissement des ports.
Son seul vestige actuellement visible est un très beau et admirablement conservé pont romain dont la largeur correspond à l’écartement des roues d’un chariot. Charles Ier ne put que l’emprunter tant à l’aller qu’au retour de son expédition à Zaragoza. Au sortir de gorges admirables, le vallon suivant est jalonné d’églises romanes tandis qu’il n’en existe pas le long de la route actuelle de Pampelune. De plus son tracé implique bien moins d’efforts que l’actuel tracé empruntant trois cols successifs.
Suivent donc Arrieta, Uritz, l’admirable ermitage de Santa Maria d’Arce. De ce point, la voie romaine se noie sous les eaux du barrage du rio Urrobi. Plus loin, c’est Nagore. La configuration de ce vallon était propice à l’installation de bivouacs qui précédèrent l’étape pèlerine dans l’hôpital jouxtant l’ermitage.
L’actuelle route contourne la poche de Chinchurrenea pour gagner Aoiz.
On sait que Charles continua vers le Sud jusqu’à Tudela, domaine des Banu Qasi, où il franchit l’Ebre avant de rejoindre Zaragoza en territoire islamique.
Nous laissons à nos amis aragonais et catalans le soin de définir le tracé des voies empruntées par la seconde moitié de l’armée carolingienne.
Le texte d’Eginhard précise qu’au retour, les deux armées remontèrent ensemble par le chemin suivi par Charles à l’aller. La séparation des deux s’effectua aux alentours de Saint-Palais, la seconde moitié passant aux alentours de Sauveterre, vraisemblablement à Sunarthe, pour se diriger ensuite vers l’Est, via Orthez ou Navarrenx.
Mais qui donc est Roland ?
Ou plutôt quand un Roland en cache un autre…
Le Preux chevalier de la Chanson de geste n’est qu’un avatar d’un Roland bien plus ancien dont la renommée était déjà présente bien avant Charlemagne tout au long de la chaîne pyrénéenne et sur les deux versants. Il s’agissait d’un géant qui parcourait la montagne, tantôt à pied, tantôt sur un cheval hippogriffe. Pour les Basques, il aurait débarrassé le pays des Mairiaks, autres géants qui répandaient la terreur dans le pays de Cize.
Plusieurs noms de sites lui sont liés dont le plus célèbre reste évidemment la Brèche de Roland, au-dessus du Cirque de Gavarnie. La légende veut que ce géant l’ait ouverte, alors qu’il était sur son cheval, afin de lui permettre de franchir la chaîne plus facilement.
Parfois il s’amusait à défier les bergers dans des jeux de lancer de palet. Bien sûr les siens étant à l’échelle du personnage, lesdits palets constituèrent la couverture de nombreux dolmens, tant en Pays Basque qu’en Ariège ou en Roussillon.
Toutefois, les géants n’étant pas des êtres immortels, il fallut trouver à ce Roland une tombe digne de son image. La grotte du Mas-d’Azil et son immense porche firent l’affaire tandis que l’un des dolmens situé non loin de là était nommé Table de Roland, tout près d’un autre dédié à Samson.
Avec la Chanson de Roland, l’image du Preux se superposa au premier. Le héros remplaça le géant sans toutefois le faire disparaître définitivement dans la mémoire populaire comme l’attestent les célèbres statues de géants à son effigie que l’on promène lors des Carnavals en Pays Basque, tant français qu’espagnol.
Toutefois, ce Roland issu de la littérature médiévale n’est pas sans poser de questions sur le plan historique, à tel point qu’on en est amené à juste titre à se demander:
Roland a-t-il réellement existé ?
Philip Walter, éminent médiéviste et professeur universitaire de renommée internationale, s’est penché sur le cas et ses conclusions sont remarquables.
Sur un plan historique, force est de reconnaître que Roland n’apparaît nulle part dans les textes émanant de la chancellerie impériale. Pendant 50 ans après le désastre de Roncevaux, il n’y en a aucune trace. La première fois que son nom est associé à Roncevaux, c’est en 829, dans une copie de la Vita Karoli d’Eginhard. Mais les manuscrits copiés sous le contrôle direct de l’empereur Louis le Pieux ne le mentionnent jamais. Comment un personnage aussi proche de Charlemagne que l’était Roland selon les versions postérieures aurait-il pu être « oublié » alors que d’autres figures de bien moindre importance sont citées? « L’inexistence de Roland dans les textes officiels de la chancellerie impériale prouve l’inexistence de Roland lui-même. »
Cependant, l’image de Roland va se dessiner en filigrane de la vie de Charlemagne à travers une succession de textes qui évoqueront une page peu glorieuse de l’histoire de l’empereur connue sous le nom de « Péché de Charlemagne ».
Roland et le péché de Charlemagne
Quelques années avant même que le nom de Roland apparaisse pour la première fois, peu après 818 soit très peu de temps après la mort de Charlemagne, paraît le premier texte relatif à ce péché : La « Vision de la pauvre femme de Laon ». Selon ce texte, une femme de Laon a une vision au cours de laquelle elle aperçoit Charles supplicié en Enfer. On ignore toutefois encore de quel péché il s’agit.
Wettin, moine de Reichenau, auteur d’une vie de Saint Gall a à son tour une vision le 3 novembre 824, la veille de sa mort. Son supérieur, l’abbé Heiro, rapporte cette vision, mentionnant que Wettin aperçut au Purgatoire un grand empereur (dont le nom n’est pas révélé) qui y expiait ses péchés de chair. L’information devient plus précise avec Walafrid Strabon qui a assisté à la mort du moine visionnaire et qui met en vers ladite vision entre 842 et 849. « Dans le passage où l’empereur expie ses péchés de chair, Walafrid lève l’anonymat en inscrivant le nom du souverain en acrostiche (première lettre de chaque vers lue verticalement) : Carolus imperator.
Enfin, dans le texte de la Karlamagnus saga (saga en langue norroise ou islandais), on lit : Le roi Charles trouva Gelem sa sœur et l’emmena dans son alcôve et il la posséda. Il alla ensuite à l’église et se confessa à Egidius (Gilles) de tous ses péchés, sauf du dernier. »
Dans la « Vie de Saint Gilles », on retrouve cet épisode, illustré par la suite à travers des vitraux, des fresques et des miniatures : Charlemagne va trouver Gilles pour se confesser mais refuse de lui avouer un dernier péché. Alors que le saint évêque célèbre la messe, un ange vient déposer sur l’autel un parchemin sur lequel est inscrit le fameux péché. Le roi s’agenouille alors devant lui, reconnaît sa faute et est aussitôt pardonné. Le Guide du Pèlerin de Compostelle, au XIIe siècle, rappelle brièvement l’affaire tandis que la chanson de Tristan de Nanteuil donne sans ambiguïté le nom de l’enfant issu de cet inceste : Roland.
Si la Chanson de Roland, écrite vers 1100, ne fait pas référence à l’origine de Roland, la Chanson de Roncevaux, en langue provençale, donne la version complète. Charlemagne, agenouillé devant Roland mort, s’écrie : « Beau neveu, je vous ai eu par mon grand péché de ma sœur et par mon erreur. Je suis ton père et ton oncle également et vous êtes, cher seigneur, mon neveu et mon enfant. »
Le Péché de Charlemagne ne résiste pas plus à l’étude historique que Roland lui-même. En effet, Pépin le Bref a épousé Berthe en 744. Charlemagne est né en 747 et sa sœur Gisèle en 757, soit 10 ans plus tard. Pour que Charlemagne ait pu avoir un fils possédant un statut militaire considérable, donc au moins âgé de 20 ans, il aurait fallu qu’il l’engendre à l’âge de 10 ans. Ne parlons même pas de Gisèle qui, 20 ans avant la fameuse bataille de Roncevaux, n’avait qu’un an !
A ces arguments majeurs, il faut ajouter une autre impossibilité historique : Gilles est un saint d’origine grecque qui a vécu au VIe siècle, soit 2 siècles avant Charlemagne. Alors, pourquoi toutes ces inventions et pourquoi apparaissent-elles à ces époques-là ?
(cf. Philippe Walter)
A qui profitent ces inventions ?
Dans une enquête policière, la première question posée est : à qui profite le crime. La réponse bien souvent conduit à la découverte de son auteur. Il en va de même dans cette enquête historique. La réponse ici est double : au pouvoir politique et au pouvoir religieux.
Lorsque commence à naître la rumeur du Péché de Charlemagne, l’empire carolingien vient d’éclater.
Après le Traité de Verdun, la partie « française » et la partie « germanique » de cet ancien empire gèrent séparément leurs destinées. De fait, le « roi de France » et l' »empereur d’Allemagne » deviennent des adversaires. Les héritiers allemands se servent de l’image de Charlemagne pour asseoir leur prestige et leur domination, et même recréer un Saint Empire romain germanique qui bien évidemment inclurait la France. En réponse, les « Français » entreprennent une campagne de dénigrement par rumeur d’inceste interposé. Les siècles suivants n’arrangent pas les choses et, au XIIe siècle, la querelle entre partisans du pape et partisans de la dynastie des Hohenstaufen bat son plein. Les partisans du Pape s’allient donc aux Français pour déconsidérer l’image de Charlemagne, pilier légendaire de l’Empire. Ici, le pouvoir religieux s’est allié au pouvoir politique.
Mais ce pouvoir religieux avait aussi de bonnes raisons d’alimenter la rumeur dès sa naissance. C’est d’ailleurs à travers des visions de pieux personnages qu’elle naît. Pourquoi alors un tel acharnement contre ce Charlemagne en principe défenseur de la chrétienté ?
Il faut bien admettre qu’il règne une véritable anarchie sexuelle à la cour carolingienne. Il ne s’agit nullement de transgresser des règles morales mais d’usages endogamiques pratiqués dans les familles franques de l’époque. Le concile de Lestinnes essaie bien de les endiguer, et cela dès le règne de Pépin le Bref, mais les coutumes ont la vie dure. La rumeur d’inceste attribuée à Charlemagne est donc aussi un bon moyen d’exagérer ces pratiques pour mieux les condamner.
Ainsi Roland mourra à cause du péché de son père, exemple à ne surtout pas suivre, et l’empereur lui-même brûle en Enfer !
Si les plus anciens textes latins traitant de cette rumeur émanent de moines et de gens d’Eglise, ce n’est sûrement pas le fait du hasard : ils relèvent de la prédication et de l’avertissement moral. Pourtant, au moment où naît la fameuse Chanson de geste, aux alentours de 1100, l’image de Roland va se transformer pour l’élever au statut de héros mythique. Là encore, pouvoir politique et pouvoir religieux vont s’allier pour voir aboutir leurs propres objectifs.